Le parcours chaotique des jeunes en détresse psychique

Ce vendredi 17 juin, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié son plus large tour d’horizon de la santé mentale depuis 2000 (1). Le document s’attarde sur le cas de nos enfants et adolescents. Sur le milliard de personnes atteintes d’un trouble mental en 2019, pas moins de 14% étaient des jeunes. Ce chiffre semble augmenter d’année en année.  

L’anxiété et la dépression représenteraient à elles deux pas moins de 40% des maladies mentales chez les jeunes de 10 à 19 ans. Selon une étude de l’Institute of Health Metrics and Evaluation, ils souffrent principalement d’anxiété, de trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, de troubles du comportement, de bipolarité, de troubles de l’alimentation, d’autisme, de schizophrénie et de troubles de la personnalité (2). 

Parmi les causes principales de dépression, on retrouve les abus sexuels durant l’enfance et le harcèlement par l’intimidation. Les inégalités sociales et économiques, les urgences de santé publique, la guerre et la crise climatique font quant à elles partie des menaces structurelles qui pèsent sur la santé mentale. Le suicide représenterait, rien qu’à lui seul, une mort sur 100 à travers le monde. Plus de la moitié des passages à l’acte (58%) surviendraient avant l’âge de 50 ans. Ils représenteraient une des premières causes de décès chez les jeunes.  

État des lieux en Belgique  

Chez nous, la tendance se confirme. Selon le SPF Santé publique (3), le nombre de séjours dans les services psychiatriques pour enfants et adolescents (repris sous les index K : k1 pour les hospitalisations de jour et k2 pour les hospitalisations de nuit) a fortement augmenté ces dernières années, aussi bien dans les hôpitaux généraux que dans les hôpitaux psychiatriques.  

Même si initialement, les garçons étaient les plus représentés, les filles y sont de plus en plus nombreuses chaque année à tel point qu’elles sont devenues majoritaires à partir de 2016.   

La plupart des admissions concernent les jeunes entre 10 et 18 ans. Les adolescents peuvent être admis en psychiatrie pour adultes à partir de l’âge de 15 ans mais le service pour enfants reste privilégié, parfois même après la majorité du patient.

 

En Belgique, 51 hôpitaux (25 psychiatriques et 26 généraux) disposent d’un service K. En Wallonie, la plupart des lits sont situés dans les hôpitaux psychiatriques (HP) tandis qu’en Flandre, on les retrouve plutôt dans les services de psychiatrie des hôpitaux généraux (SPHG). Comme chez les adultes, il y a moins de place d’hospitalisation de nuit que de jour.  

Toujours selon le SPF Santé publique, le nombre de lits d’hospitalisation résidentielle en service K augmente chaque année dans nos hôpitaux, mais ne semble plus suffire face à l’augmentation des demandes, aussi bien dans les hôpitaux généraux que dans les hôpitaux psychiatriques.  

C’est le constat que tire Sophie Maes, responsable du service de pédopsychiatrique du Domaine, à Braine-l’Alleud : “Ces demandes dépassent la possibilité de réponses d’admission.  Traditionnellement, les hospitalisations fluctuent de manière assez saisonnière en fonction du rythme scolaire. Arrivent à l’hôpital tout début septembre les jeunes qui ont la phobie de l’école. Dès la fin du mois de novembre, une liste d’attente commence à se constituer. On réussit généralement à la résorber grâce aux congés d’hiver qui diminuent la pression scolaire. En janvier, on sait donc répondre immédiatement aux demandes d’hospitalisation. Mais dès les mois de mars, d’avril et de mai, une nouvelle liste d’attente se crée. On est alors dans une situation de stress scolaire avec les examens de fin d’année qui approchent. Les jeunes doivent parfois attendre deux mois avant d’être pris en charge. 

L’impact de la crise sanitaire sur la santé mentale 

La COVID-19 a bien sûr eu un impact négatif sur la santé mentale des jeunes, augmentant d’autant plus le nombre de leurs admissions en HP et en SPHG. Ces effets délétères sur leur moral pourraient se faire ressentir durant plusieurs années, avertit l’UNICEF dans son rapport “La situation des enfants dans le monde 2021 ; Dans ma tête : promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale des enfants”(4). La perturbation de leur quotidien, de leur éducation, leurs activités récréatives annulées et les préoccupations liées aux revenus et à la santé de leur famille ont grandement perturbé les adolescents. Un jeune sur cinq âgé de 15 à 24 ans déclare s’être senti déprimé ou désintéressé durant la pandémie. Selon l’OMS (5), la dépression et l’anxiété ont augmenté de 25% dans le monde lors de la première année de crise.  

Valentine Godeau, pédopsychiatre et responsable d'une unité pour adolescents au centre psychiatrique Le Chêne aux Haies à Mons, nous livre son ressenti. “L’augmentation des hospitalisations a vraiment été flagrante en période ‘post-Covid’. Il y a d’abord eu ce moment de sidération entre mars et l’été 2020. Et puis, une augmentation des arrivées à partir de septembre. Ces jeunes, marqués par la crise sanitaire, ont réagi de différentes manières. Il y avait ceux qui avaient déjà un profil anxieux et qui ont complètement décompensé. Et puis il y a ceux qui ont adoré le confinement et qui n’ont pas su reprendre une vie sociale et scolaire normale à la reprise en septembre 2020. 

Sophie Maes confirme : “Aujourd’hui, nous ne savons de nouveau plus répondre positivement aux prises en charge, car les demandes d’hospitalisation en pédopsychiatrie ont explosé en début d’année. Pour mon service, en janvier 2022, nous avons connu 80 demandes alors que nous n’avions que 15 lits disponibles. Cela n’était jamais arrivé. Ce constat n’était pas fait uniquement chez nous, mais dans tous les services psychiatriques : au niveau francophone, national mais également au niveau européen et de manière générale, occidental. On ne savait pas quand cette vague allait arriver ni quel allait être le public le plus touché, mais on savait qu’il y allait avoir une décompensation sociale importante après la première vague de problèmes somatiques liés au COVID”. 

Le manque de places : un problème structurel à résoudre au plus vite 

Face à l’augmentation du nombre de demandes de prises en charge, les institutions de soins se retrouvent débordées, en manque de personnel, mais surtout, en manque de places pour accueillir ces jeunes en détresse. “Nous avons deux types de lits : ceux destinés aux crises et ceux pour le long terme. Quand un lit de crise est disponible, il est souvent réservé pour une arrivée très prochaine au sein du service”, explique Valentine Godeau.  

Conséquence : les jeunes doivent parfois attendre plusieurs mois avant d’espérer être admis au sein de l’hôpital. “Ce délai d’attente est dangereux pour ces enfants et adolescents. Et il est d’autant plus important pour les hospitalisations longues. Parfois, les lits destinés aux séjours de crise sont complets. Actuellement, s’il s’agit d’une décision de justice, il faut compter deux mois d’attente entre la préadmission et l’entrée à l’hôpital. Mais, quand je dois hospitaliser un jeune que je reçois en consultation, c’est vraiment compliqué. Il faut parfois compter deux mois d’attente avant une simple préadmission. En 2021, nous avons connu des moments où il fallait attendre six mois avant d’être pris en charge”, déplore la psychiatre du Chêne aux Haies.   

Ces enfants et adolescents qui devraient être hospitalisés mais qui ne trouvent pas de place sont alors réorientés. On leur propose des séances chez un psychiatre et, pour les cas les plus graves, d’être reçus au sein de services pédiatriques d’hôpitaux. “On a vu des familles se présenter aux urgences de plus en plus souvent à partir de la fin de l’année scolaire 2020-2021 avec des jeunes qui présentaient des idées suicidaires voire qui étaient déjà passés à l’acte. Les urgences n’avaient d’autre solution que de leur proposer l’hospitalisation en pédiatrie, mais sans soins pédopsychiatriques associés, ou de les renvoyer à leur domicile. Cette situation dramatique perdure aujourd’hui. La psychiatrie connaît une situation de faillite hospitalière et ambulatoire. Le fédéral a proposé de détacher du personnel pédopsychiatrique pour aller travailler en pédiatrie et aux urgences dans d’autres hôpitaux, mais les soins offerts ne sont pas les mêmes qu’en unité pédopsychiatrique. Ces solutions sont des rustines. En attendant, les jeunes qui ne sont pas pris en charge tentent tant bien que mal de rester en vie”, regrette la responsable du service pédopsychiatrique du Domaine. 

Le préventif plutôt que le curatif 

Face à ce cruel manque de places en institutions, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) a annoncé fin mai qu’il allait libérer un budget de 35 millions d’euros pour renforcer les capacités psychiatriques hospitalières et ambulatoires destinées aux enfants et aux adolescents. 

Pour résorber l’attente dangereuse des enfants qui ne peuvent être pris en charge, des équipes mobiles sont également déployées et se rendent chez les patients pour les traiter à domicile. L’intensité de ces rendez-vous varie en fonction des besoins du patient. Ce système permet d’intervenir et de soigner plus vite, en attendant qu’une place se libère en service psychiatrique.  

Mais pour Valentine Godeau, ces traitements curatifs doivent être accompagnés de mesures de prévention des troubles psychiques, et ce, dès la naissance : “Je pense par exemple aux séjours à la maternité. Il s’agit selon moi du meilleur moment pour déceler des difficultés à venir dans l’établissement de la relation mère-enfant. Malheureusement, le séjour à la maternité ayant été très raccourci, on n’a plus la possibilité d’observer cela de la même façon. Les femmes sortent très tôt avec leur bébé et sont privées de ce moment où on peut détecter pas mal de problèmes et mettre en place une aide rapide. Parfois, quand le souci est détecté à temps, il suffit de mobiliser certaines ressources et de mettre en place quelques petits entretiens pour que les choses s’améliorent.” 

La psychiatre souligne aussi l’importance des écoles qui ont leur rôle à jouer dans le bon développement psychique de l’enfant. “Les centres PMS existent et agissent, mais ils sont complètement débordés.” Dès le 30 juin, les personnes qui avaient été recrutées en Fédération Wallonie-Bruxelles pour renforcer les équipes dans le cadre des difficultés liées au COVID ne seront pas renouvelées, ce qui inquiète grandement les responsables de centres.   

Sophie Maes rejoint l’avis de Valentine Godeau et plaide quant à elle pour l’instauration de groupes de parole à l’école. “Ces jeunes qui ont des idées suicidaires ne savent pas expliquer pourquoi. En période de confinement, ne sachant plus se confier les uns aux autres sur leur vécu, ils ont été déconnectés. Progressivement, des affects dépressifs et anxieux se sont installés jusqu’à les conduire à des états psychiques nécessitant une hospitalisation. Les groupes de parole, c’est ce qu’il y a de plus efficace et de moins cher pour permettre à ces jeunes de sortir de l’isolement, de mettre des mots sur ce qu’ils vivent et ainsi recommencer à partager. Il faut créer ces espaces de paroles dans un endroit sécurisé, où on ne va pas se moquer d’eux. 

Et l’école semble être le lieu idéal pour les organiser. “On utilise un groupe qui se connaît, un groupe classe. Les adolescents ne doivent pas intervenir sur base volontaire, car ceux-là sont conscients de leurs difficultés et sont capables de les exprimer, mais il faut plutôt essayer de toucher les jeunes qui ne font pas de demandes. L’avantage du milieu scolaire, par temps de Covid, est qu’il permet d’intervenir au sein d’un groupe sans multiplier les contacts sociaux. 

La psychiatre précise que ce n’est pas aux professeurs de les organiser.  “Il s’agirait que chaque école estime, dans son milieu social, qui pourrait collaborer au mieux. Par exemple, un PMS qui a sa maison-mère dans ses locaux ou une maison de jeunes qui se trouve au coin de la rue. Il faut prendre en compte la réalité urbanistique. Il ne s’agit pas de surcharger les élèves et de leur placer ça le mercredi après-midi ou le week-end. Il faut dégager un temps où ce type d’espace de parole peut se faire. On pourrait par exemple imaginer que cela s’inscrive dans la grille horaire des cours de religion et de morale”. 

Sophie Maes va plus loin encore et propose au gouvernement fédéral de prendre des mesures courageuses et d’organiser, comme cela a été fait en temps de Covid, des Codeco, pour “intervenir sur les conséquences et les séquelles des mesures sanitaires sur la santé mentale des jeunes”. 

Les services d’aide aux enfants et adolescents en détresse morale 

D’autres initiatives existent et peuvent servir de béquille de secours aux enfants et ados en détresse. En Belgique, il existe tout un tas de services d’aide gratuit pour les enfants et adolescents qui ont besoin de vider leur sac, de parler à un adulte de ce qu’ils ressentent :  

  • Les AMO (Service d’action en milieu ouvert) : Il s’agit de lieux d’écoute, d’information, d’orientation, de soutien et d’accompagnement pour les enfants de 0 à 18 ans (et jusqu’à 22 dans certaines AMO). Soumises au secret professionnel, elles accueillent aussi les parents et professionnels qui rencontreraient un problème avec un jeune. 
  • Les MADOS (Maisons de l’adolescence) : Elles suivent le même principe que les AMO mais sont exclusivement destinées aux 11-22 ans. 
  • Les services d’aide des universités et hautes écoles sont gratuits et accompagnent les étudiants en difficulté financière, morale et tendent une oreille aux difficultés qui leur sont confiées. 
  • Les points d’écoute jeunes à Bruxelles : Quatre points d’écoute ont été créés par plusieurs services de santé mentale de la capitale. Il s’agit d’un accueil psychosocial pour les 15-25 ans, gratuit et sans rendez-vous.  
  • Le 103 : Ecoute-Enfants répond gratuitement aux questions des enfants et adolescents qui connaissent des difficultés et se posent des questions. Le service est accessible tous les jours de 10h à minuit.  
  • Le centre de prévention du suicide et d’accompagnement - 0800/32123 : Ce numéro est gratuit et accessible 24h/24. C’est un lieu de soutien, d’accompagnement et de prise en charge psychologique destiné aux personnes ayant des idées suicidaires ainsi qu’à leur entourage.  

(1) : Communiqué de presse : “L’OMS souligne qu’il est urgent de transformer la santé mentale et les soins qui lui sont consacrés”, https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care 

(2) : Global Burden of Disease Study, “Charge mondiale de la morbidité” de 2019 de l’Institute of Health Metrics and Evaluation 

(3) : Vers une Belgique en bonne santé, “Séjours à l’hôpital”, https://www.belgiqueenbonnesante.be/fr/donnees-phares-dans-les-soins-de-sante/soins-en-sante-mentale/soins-en-sante-mentale-pour-les-enfants-et-les-adolescents/activites-hospitalieres-dans-les-hp-et-les-sphg-pour-enfants-et-adolescents/sejours-a-l-hopital#_ftnref1 

(4) “La situation des enfants dans le monde 2021 ; Dans ma tête : promouvoir, protéger et prendre en charge la santé mentale des enfants” - https://www.unicef.be/fr/publications-internationales/situation-des-enfants-dans-le-monde/rapport-2021

(5) Communiqué de presse : “L’OMS souligne qu’il est urgent de transformer la santé mentale et les soins qui lui sont consacrés”, https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care

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